Thursday, November 19, 2009

Les garçons, sexe faible à l'école


[Le Monde, 11.11.2009]

LE MONDE DE L'EDUCATION

Sauvons les garçons !, de Jean-Louis Auduc, s'inscrit non pas contre mais dans le droit-fil d'Allez les filles ! (Seuil, 1992) et de Quoi de neuf chez les filles ? (Nathan, 2007), des sociologues Christian Baudelot et Roger Establet. Après s'être penché sur les problèmes des filles, il était juste et urgent de s'intéresser à ceux, plus lourds, des garçons. Sur 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualification du système éducatif, 100 000 sont des garçons. Un mauvais score qui perdure du primaire au supérieur, puisque sept femmes sur dix ont un bac ou un diplôme postbac, contre six hommes sur dix. Selon des chiffres 2008-2009 du ministère de l'éducation, les filles - prétendument peu scientifiques - sont 31 % à décrocher une mention bien ou très bien au bac S, contre 24 % de garçons.

Pourquoi un tel écart et un tel échec ? "Les filles, peu ou mal reconnues dans la maison, ont surinvesti dans l'école et elles y sont reconnues, explique l'auteur, directeur adjoint de l'IUFM de Paris-XII-Val-de-Marne à Créteil. A l'inverse, les garçons sont souvent reconnus dans leur famille, mais ils vivent une crise identitaire à l'école. (...) La conviction de leur supériorité confronte les garçons à des contradictions insolubles en ne se traduisant pas par une supériorité intellectuelle sur les filles de leur classe."

Résultat : les garçons sont amenés à dévaluer les savoirs scolaires et à se rebeller contre l'école. La spirale de l'échec est amorcée. Elle se vérifie jusque dans l'orientation, où les filles sont sous-représentées dans les filières dites courtes (CAP, BEP, bac STI, bac pro, etc.). En revanche, elles sont surreprésentées dans le supérieur, à l'exception des filières d'excellence, où les garçons repassent devant elles.

En effet, en dépit de parcours scolaires plus brillants, les filles choisissent moins fréquemment qu'eux les filières de l'élite. Une situation liée à un atavisme culturel qui empêche de "bousculer les frontières du masculin et du féminin à l'intérieur de la famille". Selon une étude (de mars 2009) de la Caisse nationale d'allocations familiales, les deux tiers du travail parental et ménager reposent sur les femmes.

La famille - celle qui élève et celle qu'on reproduit -, la voilà, la grande fautive... "Les discriminations professionnelles ne trouvent plus leurs racines dans les inégalités institutionnelles, que ce soit à l'école ou dans les lois, mais dans l'intimité des foyers et des consciences", écrit l'auteur. Des discriminations qui reposent sur des images stéréotypées des deux sexes et qui ont de fortes répercussions sur la scolarité des uns et des autres. Le fait de moins stimuler oralement que physiquement les garçons (qu'on souhaite plus forts) a une influence directe sur une acquisition du langage plus lente chez les enfants de sexe masculin. Et donc sur leur scolarité.

Beaucoup de garçons "ne se relèvent jamais du stéréotype que concrétise souvent l'éducation parentale selon lequel la communication verbale est une compétence essentiellement féminine", remarque Jean-Louis Auduc. A l'opposé, l'image de la femme, véhiculée dans certains milieux, "contribue à développer chez les filles des capacités d'écoute et d'ordre qui seront des atouts à l'école". Un constat d'autant plus vrai à mesure que l'on descend dans l'échelle sociale, et finalement plus préjudiciable aux garçons des milieux défavorisés. Rois chez eux, ils sont désavoués à l'école, où la mentalité machiste les place en position de rebelles, donc de refus et d'échec.

Comment sortir de cette situation ? En luttant contre les stéréotypes machistes et en limitant la mixité, propose l'auteur, qui ne milite pas pour autant en faveur du retour des classes unisexes, mais s'interroge "sur la pertinence de quelques activités où, pour mieux gérer la totalité de la classe, garçons et filles seraient séparés".

Hypothèse pessimiste mais pas irréaliste : on peut aussi imaginer que l'écart entre les genres diminuera avec la poursuite de la montée en puissance des filles. A force de se rapprocher des positions sociales des garçons, elles en adopteront aussi les codes et développeront à leur tour les aspects pervers encore propres aux stéréotypes du sexe "fort". Mais s'agirait-il d'une victoire pour elles ?

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