Monday, March 8, 2010

L'école peut elle abriter la guerre des genres?

[Le Café Pédagogique, 2010]

Par François Jarraud

"Pendant trente ans, on a vécu avec l’idée que la mixité réglait en soi les questions d’égalité. Il faut en revenir à l’épreuve des faits. Il ne suffit pas de mettre des garçons et des filles ensemble pour que règne l’harmonie et l’égalité entre filles et garçons". Cette réflexion de Jean-Louis Auduc, auteur de "Sauvons les garçons !", éclaire la situation de l'Ecole française : pour avoir cru que la mixité allait de soi, l'Ecole est devenue une arme dans une guerre des genres qui se prolonge bien après la fin de la classe.

Les filles ont l'avantage

Pourtant dans une société où les hommes l'emportent, l'Ecole semble être un territoire dominé par les femmes. Les jeunes têtes blondes le découvrent très vite : 81% des enseignants du primaire sont des femmes et, si leur domination s'atténue au secondaire, c'est encore le cas de près de deux enseignants sur trois au collège et au lycée. La proportion est respectée pour les autres adultes en contact avec les jeunes : 69% des CPE, plus de 80% des personnels d'orientation sont des femmes. L'Ecole est bien leur royaume.

On se gardera bien d'établir un lien direct entre ce cadre et les résultats scolaires. Mais un fait est là : les filles dominent nettement les garçons sur le plan scolaire. Cela se voit dès l'école primaire. En CM2, les filles sont meilleures en français et en maths : 91% maitrisent les compétences de base dans ces deux disciplines contre 85% des garçons en français. Jean-Louis Auduc a raison de le souligner : dès le CM2, 15% des garçons sont en difficulté de lecture. C'est deux fois plus que chez les filles.

En troisième les filles sont nettement meilleures en français (86% contre 76% pour les garçons) et un peu moins bonnes en maths (89% contre 91%). Mais le chiffre est trompeur : déjà il y a eu un écrémage chez les garçons. A 14 ans, 200 000 filles sont en 3ème alors qu'on ne compte que 179 000 garçons du même âge. En terminale générale et technologique on comptera 90 000 garçons de 17 ans contre 123 000 filles… et 55% de filles tous âges confondus. Mais ces chiffres cachent de grands écarts entre filières. Aux 93% de filles de la filière SMS-ST2S, répondent les 94% de garçons de la filière ISP. On trouve 79% de filles en L, 49% en S, seulement 10% en STI. Des écarts aussi forts se constatent entre branches du bac professionnel (en gros opposition tertiaire – production).

Comment expliquer cette domination féminine ?

Pour Jean-Louis Auduc, "les filles ont durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, des semblables, femmes référentes, auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier". Du coup elles se sentiraient davantage soutenues. D'ailleurs, on l'a vu, elles "décrochent" beaucoup moins : un garçon sur cinq quitte l'Ecole sans qualification retenue quand ce n'est qu'une fille sur sept. Les garçons auraient plus de mal à trouver un modèle scolaire auquel s'accrocher, d'autant qu'à la maison aussi, le travail reste souvent une valeur féminine… On a vu également que l'écart se creuse entre garçons et filles entre 10 et 14 ans, une période où les filles murissent plus vite que leurs camarades. " Ce décalage dans l’accès à la scolarité n’est pas sans conséquence au niveau de l’attitude des élèves dans le système éducatif, car il se produit dans les deux premières années du collège qui sont des années décisives concernant la mise en place des processus d’apprentissages qui vont structurer toutes les années du second degré", estime J.-L. Auduc.

Pour quelle réussite finale ?

A la fin de l'enseignement scolaire le taux de réussite au bac des filles dépasse de 4 points celui des garçons (85% contre 81% tous bacs confondus). Les filles l'emportent dans tous les bacs sauf le bac agricole. Mais, là aussi, ce taux cache un écart trois fois plus grand : 70% des filles d'une génération seront bachelières contre 58% des garçons. Finalement une fille sur deux aura un diplôme du supérieur contre un garçon sur trois. Du coup, "depuis 2007, en début de carrière, le taux de chômage des femmes est plus faible que celui des hommes", révèle une très récente étude de l'Insee. "La réussite croissante des filles en matière de formation favorise leur insertion professionnelle… Les filles accèdent plus facilement à des emplois qualifiés grâce à leur niveau de formation plus élevé. En 2008, 48% des jeunes filles occupent une profession intermédiaire ou un emploi de cadre contre 43% des garçons".

La revanche finale des garçons

Apparemment les garçons leur ravissent les meilleures places. Dans le post bac, les filles fournissent 80% des étudiants des formations sociales, 72% des étudiants en IUFM mais seulement 28% des étudiants des filières scientifiques, 26% des futurs ingénieurs et 24% des étudiants en université de technologie. En CPGE, 57% des élèves sont des garçons. Un écart qui reflète les stéréotypes sexués : "Quand ils se jugent très bons en français, seul un garçon sur dix va en L... contre 3 filles sur dix. Quand ils se jugent très bons en maths, 8 garçons sur 10 vont en S contre 6 filles sur 10" révèle une étude ministérielle. Mais on se rappelle que seule une petite minorité des garçons peut se revendiquer "très bonne"…

C'est bien plus tard que les garçons prennent leur revanche. "A niveau de diplôme identique, le taux de chômage des jeunes femmes reste souvent plus élevé et leurs salaires sont inférieurs à ceux des hommes", note l'Insee. "En effet les spécialités de formation qu'elles choisissent ne correspondent pas toujours aux besoins du marché du travail". Mais le pire c'est une étude de l'OCDE sur la rentabilité des études supérieures qui le montre. Pour tous les pays les études se chiffrent par des gains plus ou moins substantiels pour les femmes (130 000 $ en Corée du Sud , 123 000 au Portugal, des pays où les écarts de revenus par rapport aux bachelières sont importants et les écarts entre les sexes faibles). La France se distingue : c'est le seul pays de l'OCDE où faire des études supérieures se traduit négativement en terme de revenu pour les femmes (- 1 908 $), alors même que cela rapporte 40 000 euros aux garçons. Ce qui explique cette situation c'est à la fois l'écart de salaire entre les sexes et les transferts sociaux. Si faire des études supérieures permet aux femmes de mieux lutter contre le chômage, la société française leur adresse ce message absolument unique : vous n'y gagnerez pas !

Que peut faire l'Ecole ?

La tentation pourrait être de séparer à nouveau les sexes à l'Ecole. C'est le raisonnement du sociologue Michel Fize qui propose des classes séparées au collège. Mais l'école unisexe, là où elle existe, a plutôt permis de renforcer les stéréotypes et l'ignorance qu'assurer l'intégration scolaire des garçons. PISA démolit ce programme en montrant que les filles n'obtiennent pas de meilleurs résultats dans les établissements non mixtes.

Le statu quo devient lui aussi impossible. "Il n’est plus possible de se contenter de gérer une mixité, qui serait seulement mettre des garçons et des filles ensemble avec l’intention de ne pratiquer aucune différenciation basée sur le genre", pense Jean-Louis Auduc. "Il faut sans doute dans certaines disciplines, certains apprentissages, organiser des activités pour toute la classe et des activités séparées par sexe pour mieux prendre en compte dans le cadre d’une pédagogie différenciée les rythmes et les approches de chacun".

Peu de disciplines ont réfléchi à ces questions. Comment pourrait-on éveiller l'intérêt des garçons pour la lecture ? La solution ne passe d'ailleurs pas uniquement par l'Ecole, la lecture étant une pratique sociale. Par contre l'anxiété des maths que vivent les filles renvoie directement à la façon de les expliquer. Seule l'EPS semble aujourd'hui avoir pris conscience du rapport entre l'enseignement et la construction des stéréotypes.

Il nous reste donc à la fois à "sauver les garçons" et à lutter contre les stéréotypes qui pèsent sur les orientations et le devenir des filles et des garçons. Vaste tâche !

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